Lizer an Aotrou ’n Eskob Dubourg

René PRUD’HOMME, 1905  (p. v-vi)



ÉVÊCHÉ
     DE
MOULINS
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Moulins, le 12 Décembre 1904.


Monsieur,


Vous me demandez quelques lignes d’introduction « eur c’henskrid » au volume de poésies bretonnes que vous avez le dessein de publier. Ne vous êtes-vous pas exagéré ma compétence ? Depuis douze ans, en effet, je suis déshabitué de notre vieille langue celtique. Je l’aime toujours ; mais je n’ai que très rarement occasion de la parler, et, par suite, mon appréciation perd naturellement de sa valeur et de son crédit. Quoi qu’il en soit, j’ai cédé à vos pressantes et aimables instances, et, pour vous être agréable, je me suis imposé le devoir de lire votre manuscrit. Mais, je suis heureux de vous le dire, ce sentiment de passivité s’est changé dès les premières pages, en un très vif attrait ; et dans cette lecture, que j’ai continuée jusqu’au bout, j’ai trouvé tout à la fois intérêt et plaisir. Votre livre sort de la banalité ordinaire, et en ce qui me concerne, il a largement dépassé toutes mes prévisions. Vous avez une connaissance parfaite de la langue bretonne. Vos vers sont bien frappés, harmonieux et traversés par un véritable souffle poétique. Dans chacun de vos Gwerziou, Kanaouennou, Barzonegou, on sent vibrer, en même temps qu’un sentiment très religieux très accentué, la fibre patriotique, qui, sans exclure l’amour de la grande patrie française, exalte et chante de préférence la petite patrie Breiz-Izel, avec son antique langage, avec ses calvaires, comme celui de Plougastel ; avec tous ses vieux patrons, et en particulier, les « Sept Saints » que vous avez eu raison de mettre en un relief spécial.

Bref, le nom de « Klaoda » ne peut manquer de s’ajouter désormais — et sans désavantage — aux noms des principaux poètes bretons qui ont honoré leur pays ; et si nos chers compatriotes lisaient plus assidument les ouvrages écrits en brezonek, je prédirais à votre volume un grand succès. En tout cas, il contribuera à faire aimer davantage Dieu et sa religion sainte, l’Armorique et sa douce langue ; et, en le composant et en le livrant à la publicité, c'est le succès que vous avez principalement ambitionné.

Je vous prie d’agréer, Monsieur, l’assurance de mes sentiments les plus dévoués,

✝︎ AUGUSTE,

Evêque de Moulins.


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