Pajenn:Bayon - En Ozeganned.djvu/18

Adlennet eo bet ar bajenn-mañ
11
Étude sur le Théatre breton.

avait déjà notées [1]. Cela se vit chez nous, et de cette façon-là ; c’est très comique assurément ; mais par dessus tout c’est exact.

Le Bayon a emprunté au domaine populaire un sujet, le plus populaire de tous, l’ivresse. Mais me sera-t-il permis de dire que c’est une ivresse à part, la bonne ivresse bretonne : celle-ci ne menace ni ne blasphème ; elle est religieuse et se met à genoux ; elle est excellente catholique, excepté peut-être dans l’expression de ses prières. Au demeurant, c’est l’ivresse de ceux que Louis Veuillot appelait jadis « les saints ivrognes de Bretagne » ; avec cela, joyeuse toujours de cette bonne gaieté délirante que donne le cidre, sans la passion sombre et brutale qui est fille de l’alcool. Voilà l’ivresse qui arrache aux réalités de la vie l’âme triste du Celte pauvre, et le berce pendant quelques heures dans la vague région du rêve.

Mais comme il n’était point facile de donner ainsi à l’ivrognerie qui répugne cette physionomie qui ne choque pas, de rendre agréables et presque sympathiques au spectateur deux compères de Pardon qui s’en retournent trop chargés ! Le Bayon l’a su faire néanmoins, par l’artistique esquisse de ses personnages, et le parti fort habile qu’il a tiré de la légende.

  1. Bien qu’il se crût l’oeil sûr, le corps droit, le pied ferme,
    Au grand jour seulement il revint à la ferme.
    Et comment, chers lecteurs, retrouver son chemin
    Lorsqu’un petit nain noir l’ayant pris par la main
    Méchamment le traîna durant la nuit entière
    De taillis en taillis. de bruyère en bruyère !
    A peine il se sentait sur ses pieds redressé,
    Que le nain le faisait rouler dans un fossé.

    Brizeux, Les Bretons